En ouvrant ses cuisines au grand public – l’instant du tournage de la série Pendant ce temps en cuisine diffusée présentement sur Prime Video –, le chef Antonin Mousseau-Rivard (du restaurant Le Mousso, à Montréal) souhaitait donner une image juste du milieu de la restauration. Une image loin des stéréotypes véhiculés dans les séries léchées comme Chef’s Table, qui glorifient le métier, alors que la réalité est toute autre…
Entrevue avec ce chef loquace, qui en avait long à dire sur l’avenir de la gastronomie!
Antonin, quel était ton principal objectif en participant à la série?
Que les gens arrêtent de croire que la cuisine, c’est un métier de superstar. C’est un métier qu’on a tendance à valoriser dans le mauvais sens, et je pense que de montrer les coulisses de la restauration, ça permet aux gens de découvrir notre vraie réalité. Parce que ce n’est pas seulement de la glorification, c’est beaucoup d’investissement de temps et d’argent. Quand on m’a demandé de participer à la série, je sortais d’une période difficile, j’étais tanné de la restauration telle qu’elle était, des conditions difficiles dans lesquelles on évoluait. Et comme la Covid nous a permis de faire un beau 360 degrés, le tournage m’a permis de montrer aux gens les actions que j’ai prises pour que notre réalité change.
Parlons-en : qu’est-ce qui a changé depuis la pandémie?
Ce qui a changé, c’est le nombre de gens qui travaillent en restauration aujourd’hui. On a perdu quasiment 75% des effectifs. On a réalisé à quel point l’environnement était toxique et le manque de soutien au travail était flagrant. On a réalisé que si on voulait garder notre monde, il fallait les mettre davantage de l’avant et mieux les traiter. Parce que la base de notre succès, c’est nos employés. Il faut leur faire attention, et c’est ce que j’ai voulu faire avec Le Mousso, en créant un modèle où les employés sont la priorité. Désormais, le pourboire est mieux réparti, les salaires sont nettement plus élevés, et les conditions de travail sont meilleures, car les gens travaillent maximum 45 heures par semaine, réparties sur quatre jours. Ils ont donc trois jours de congé par semaine et quand tu as un side project, ou un enfant, c’est bien pratique. Bref, il fallait changer la formule et je pense qu’on a réussi.
Ces changements viennent assurément avec un coût, alors comment justifies-tu le prix de tes assiettes?
La haute gastronomie vient avec un prix, car ce sont des artisans qui sont derrière les produits. La cuisine du marché, elle, va toujours trouver des façons de se rendre accessible et rentable. Mais, c’est de plus en plus difficile pour la gastronomie de subsister en respectant nos standards de qualité. Et on le voit même chez les gros joueurs, comme le Noma qui va bientôt fermer. Mais, il faut comprendre ce qu’on encourage quand on réserve dans un restaurant gastronomique. En payant 250$ par personne dans un restaurant comme Le Mousso, on encourage plusieurs producteurs locaux, des petits entrepreneurs québécois qui travaillent fort pour offrir des produits uniques. Et ça, ça se récompense. Il faut arrêter de croire que ce sont les restaurants comme le mien qui se mettent de l’argent dans les poches sur le dos des gens. C’est la petite restauration qui fait ça. Beaucoup de gens trouvent ça inacceptable de venir manger du caviar, du foie gras, et des produits d’exception chez moi pour 250$, mais ils trouvent ça normal de payer 60$ pour manger chez St-Hubert, qui met 40$ de profit dans les poches d’une grosse compagnie… qui est rendue américaine, en plus.
Alors, quelle est la place de la haute gastronomie en 2023?
La grande gastronomie, c’est un état d’être, c’est les produits que tu utilises, la façon dont tu les apprêtes, combien d’étapes ça prend pour monter une assiette, la façon dont tu traites tes cuisiniers, etc. Tout ça, c’est un art. Et cet art-là, il ne faut pas le perdre. Au même titre qu’il y a de moins en moins de gens qui vont à l’opéra, mais c’est une grande forme d’art qu’il ne faut pas perdre. Je pense qu’en 2023, les gens doivent donc sortir moins, mais sortir mieux.
Selon toi, les Québécois sont-ils prêts à ça?
Oui, les Québécois sont tellement curieux ! La culture culinaire québécoise est l’une des plus ouvertes sur le monde, car on n’a pas d’histoire comme la France ou l’Italie qui ont des milliers d’années de culture gastronomique qui les suivent. Ici, on aime découvrir, on aime partager, on aime les bonnes grosses bouffes. D’ailleurs, on est reconnus pour nos restaurants comme Joe Beef et Au Pied de Cochon, qui sont des restaurants extrêmement généreux, de bons vivants. Mais au final, on est capable de manger piquant, et on est capable de manger des abats. On ne blanchit pas la cuisine, ici. Donc notre identité, c’est notre ouverture.
Le Mousso : 1025, rue Ontario Est