J’ai (presque) grimpé le Kilimandjaro – Dernière partie

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Psssit! Je vous conseille de lire la première partie et la deuxième partie du récit avant de vous attaquer à la finale…

Jour 4 / Mur de Barranco jusqu’au camp Karanga (3 995m)
Après la belle montée du mur de Barranco, nous redescendons dans une vallée.
Et tranquillement, insidieusement, mon souffle se raccourcit. Je recommence à tousser, mais surtout, à avoir de la difficulté à respirer.

Après l’ascension du mur, une belle descente dans la vallée nous attend. Puis, on aperçoit le camp au loin…

Les dernières heures de longue descente, suivies d’une dernière montée abrupte vers le camp Karanga, sont pénibles. Je ne fais pas d’asthme, alors je ne comprends pas ce qui se passe.

Chaque pas me demande un effort surhumain!

Je m’arrête souvent pour apaiser mon souffle. Parfois aussi, pour pleurer. De rage, de souffrance, d’impuissance. Ce qui me fait tousser de plus belle. Je comprendrai plus tard que c’était le début de ma bronchite.

Nous arrivons finalement au camp et une surprise nous attend.

Toute notre équipe s’unit pour nous rendre un des plus beaux spectacles! Ils chantent, ils dansent, et on se joint à eux. À bout de souffle, je suis émue aux larmes… et je ne suis pas la seule!

C’est un moment magique, exaltant, unique. Je m’en souviendrai toute ma vie!

Un moment très émouvant! Je ne vous mettrai pas la vidéo que j’ai faite, on entend que mon souffle saccadé et mes pleurs 😉

Hakuna Matata

Jour 5 / Camp Barafu (4 673m), High Camp (4 873m) et le Sommet!
Le 5e matin, on se lève encore par-dessus les nuages, avec un soleil éclatant. J’hume l’air frais… puis je tousse un peu. Suzie me fait une blague, puis je ris… et je tousse. Tout me fait tousser.

Notre guide en chef local m’amène voir une «woman doctor», une anesthésiste de Liverpool (même si je suis accompagnée de mon père, qui est médecin…?). Elle me confirme que j’ai probablement une bronchite. J’aurais besoin de bronchodilatateurs pour éviter de m’essouffler… Mais il n’y en a pas.

If you made it so far in the journey, I wouldn’t see why you wouldn’t make it to the Summit

Je garde espoir. Hakuna Matata. Et on part, les premiers, mon père et moi avec un guide pour notre 5e journée d’ascension, celle qui nous mènera au camp de base.

Ce n’est pas le manque d’oxygène qui me ralentit, mais bien le manque d’air qui peut se rendre à mes poumons!

Mon père m’explique que je faisais des bronchospasmes à l’effort

Déjà qu’on se fatigue et s’essouffle vraiment plus vite en haute altitude, j’avais moins d’air qui passait dans les bronches… et je m’arrêtais constamment pour les calmer.

Alors tranquillement, péniblement, je me suis rendue au camp Barafu, où nous avons dîné. Assise et au repos, je pouvais récupérer et je me remettais à mieux respirer (sans arrêter de tousser à la moindre blague de Steve!).

Mais dès que nous nous remettions à faire le moindre effort physique, le souffle se faisait court et le coeur pompait encore plus qu’à la normale.

Le mont Mawenzi, au loin, fait 5 148 mètres d’altitude.

J’ai gravi les derniers 200 mètres avant le camp de base de peine et de misère.

Je n’ai sérieusement aucune idée comment j’ai fait. Je n’en pouvais plus. Par chance, nos merveilleux porteurs avaient déjà monté le campement en arrivant. J’ai donc pu enlever mes bottes et me laisser tomber, à bout de force, sur mon petit matelas de fortune.

Nous avions quelques heures avant le souper pour nous reposer. Puis, le dernier repas avant l’ascension, qui se fait de nuit. Un dernier briefing sur notre équipement et ce qui nous attend… Puis, vers 19h30, tous à nos tentes pour nous préparer et tenter de dormir une heure ou deux. À 23h, mon père et moi partirons en premier pour gravir les quelque 1 100 mètres qui nous séparent du Uhuru Peak.

Notre camp de base à environ 1 100m du sommet! La première tente verte, c’est la nôtre. Elle sera mon cocon pour une partie de la nuit…

La saturation

Nuit 5 / Ascension finale : Stella Point (5 752m) et Uhuru Peak (5 895m)
23h pile, nous partons, mon père et moi, avec nos guides respectifs. Car c’était prévu à l’avance: si l’un d’entre nous ne peut se rendre au sommet, l’autre continue.

Mon guide, Frank, prend notre saturation d’oxygène, comme chaque matin et soir depuis le début de l’expédition. Je suis à 87%! Excellent.

Il fait noir et il fait froid. On met un pied devant l’autre, très lentement. On n’a pas le choix, le corps s’épuise à rien, rendus à cette altitude. J’essaie de prendre le moins de pauses possible, malgré que je respire péniblement. À un moment, Suzie et Pascal nous rattrapent et me donnent un peu de courage!

Frank reprend ma saturation, je suis rendue à 70%.

Puis, on voit bien que les petites lumières qui s’approchent sont celles du reste du groupe.

Marjolaine, je vais monter avec eux ok? Je commence à avoir froid…

Mon père va me délaisser, tel que prévu. Je me mets à pleurer. C’est un moment déchirant.

Je ne peux pas empêcher mon père de vivre son rêve!

Même si le fait qu’il soit avec moi me donne de l’énergie, je dois le laisser partir. Nous nous enlaçons. « Fais ce que tu peux, ok? C’est impossible dans ta condition de te rendre au sommet. Écoute tes limites et descends quand c’est le temps, Marjolaine. »

Me voilà seule avec Frank. On reprend la marche, très tranquillement. Il fait de plus en plus froid. On s’arrête pour reprendre ma saturation, je suis rendue à 65%, le seuil en-dessous duquel les organes commencent à manquer d’oxygène. Nous devons être à 5 200 mètres d’altitude.

Je suis incapable de me résigner à rebrousser chemin, mélange d’orgueil et de désir d’aller au bout de mes limites. On continue, peut-être un autre 100 mètres. Allez Marjo! Puis, je me sens partir un peu, je n’ai plus de forces, je peine à rester debout. Je dois redescendre, malgré la déception de ne pas me rendre au sommet, si près du but. Ça semble évident comme décision, mais dans le moment, ça m’a tout pris.

Et c’est là que j’ai eu ma plus grande leçon d’humilité à vie. À ce stade, je mettais ma vie en danger. Ce que je ne savais pas alors (et une chance, sinon j’aurais vraiment paniqué!), c’est que des bronchospasmes peuvent contracter tes bronches jusqu’à les bloquer complètement, et tu tombes en arrêt respiratoire. Pas le moment, à 5 300 mètres d’altitude.

J’alerte mon guide. « Frank, je n’en peux plus, je ne respire pas. J’ai besoin d’oxygène. Il faut redescendre. » Il reprend ma saturation : je suis à 57%.

Je vois la panique dans son regard.

Probablement parce que je le sens si peu en contrôle, je reste calme. Je m’appuie sur lui pour m’aider à rester debout. On croise un premier groupe : ils n’ont pas d’oxygène. Mes yeux ferment tout seuls. Un autre groupe. Eux, ils ont de l’oxygène. Un guide me met le masque.

« Breathe deeply with your mouth. Yes. Ok. Feeling better? » Non. Mais je lui dis oui. Frank et moi repartons.

« Feeling better Maji? » Non. Là, ça commence à spinner dans ma tête.

Notre guide en chef est en train de monter, mon père aussi, je n’ai pas les papiers d’assurance si je dois me faire héliporter. Et Frank me lance :

Maji, I think maybe you are having a pulmonary œdema.

Criss. Pas l’temps de me faire paniquer, dude!


La descente

Après un moment interminable de descente entrecoupée de multiples pauses, on rejoint le camp de base. Ça tombe bien, la bombonne d’oxygène est vide. Je m’effondre dans ma tente et je reprend un peu de souffle au bout d’une heure. À chaque 15 minutes, un guide vient me demander si ça va. Je finis par m’endormir.

À mon réveil, on me sert un petit déjeuner et Frank me demande de me préparer : il faut continuer de descendre pour avoir un meilleur apport en oxygène.

Je veux attendre mon père. Je prends mon temps pour manger… je n’ai pas trop le choix de toute façon, je n’ai pas d’énergie. Quand tout à coup, j’entends une voix familière.

Mon papa!!! Il a réussi!!!

Il est arrivé en premier avec notre compatriote Sophie. Je suis émue aux larmes, il a réalisé son rêve! Nous nous serrons fort dans nos bras…

Mon père Daniel au sommet du Kilimandjaro!!! Je suis si fière de toi Papa!

Le dernier soir

Jour 6 / Camp Millenium (3 820m)
Comme prévu, je dois partir pour continuer la descente. Je pars accompagnée de deux guides, car la première portion est abrupte dans de grosses roches.

Habituellement, après la dernière ascension, tu dors. Pas mon père. Il se repose un peu, déjeune, puis repars aussitôt pour venir me rejoindre. Une machine!

Ce qui devait prendre trois heures pour rejoindre le prochain camp, nous en prendra six.

Je respirais encore très péniblement, et je m’arrêtais constamment pour calmer mes bronches. Nous avons marché dans la brume un bon bout de temps. Quand nous avons aperçu le camp, mon guide m’a dit

Almost there, Maji. 30 minutes.

Il ne fallait pas le croire. Le temps tanzanien! 1h30 plus tard, je m’effondrais dans ma tente. Les autres nous ont rejoint un peu plus tard en après-midi.

TOUS ont fait le sommet!!!

J’étais vraiment heureuse pour ma gang.

Le camp Millenium, à 3 820 mètres, a une vue imprenable sur le sommet du Kilimandjaro!

Notre dernier soir fut festif! Souper tanzanien typique et gâteau surprise pour l’anniversaire de mariage de Suzie et Pascal… Bref, beaucoup d’émotions, de chansons et de danse!

Avant de me coucher, j’observe pour une dernière fois le ciel étoilé, le coeur empreint de gratitude, de fierté et d’un peu de nostalgie – comme à chaque fin d’aventure.


La fin

JOUR 7 / Camp Mweka (3 100m) et Mweka Gate (1 640m)
Je me lève ce matin-là et enfin, je sens que je respire mieux. Délivrance! Une descente de 2 000 mètres nous attend. Ça se fait bien… en autant que tes orteils te pardonnent!

On marche d’abord au-dessus des nuages puis on descend tranquillement dans la jungle à nouveau. Nous sommes tous épuisés, mais le moral est bon!

D’au-dessus des nuages à la jungle en une matinée!

Puis, au détour d’un petit sentier, on aperçoit notre équipe au loin. Nous y sommes.
Alors nous formons une rangée, bras dessus bras dessous, et on chante l’hymne du Kilimandjaro, merveilleusement accueillis par tous nos guides et porteurs.

Jambo, jambo bwana,
Habari gani, mzuri sana,
Wageni, mwakari-bishwa,
Kilimanjaro, hakuna matataaaaa