La dérape : ma perte de contrôle émotionnelle

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Sur l’autoroute de ma vie, j’ai toujours emprunté la voie de gauche. Les lignes ont toujours défilé à un rythme si rapide qu’elles ne faisaient plus qu’une. Jamais je ne me suis établie de limite de vitesse.

En fait, je peux affirmer que je roule depuis plusieurs années en excès de vitesse, et ce, peu importe les conditions routières et les intempéries


Excès de vitesse

Sur l’autoroute de la vie, il n’y a aucun radar pour nous signifier que nous roulons trop vite, aucun avertissement ou contravention ne nous sera remis. Tandis que je roule les deux mains agrippées sur mon volant, j’accélère à une vitesse dangereusement rapide. Il m’arrive même d’en oublier ma destination.

Ironique, n’est-ce pas?

C’est ironique de rouler si vite sans même se souvenir de notre objectif final…


Fréquences radio

Pour m’accompagner dans ce voyage, il n’y a seulement que deux fréquences audibles dans ma voiture: celle connectée à la raison, à la logique et celle directement liée aux émotions, aux sentiments. Dans ma voiture, celle qui est la plus perceptible est clairement la deuxième : celle reliée aux émotions. Cependant….

Depuis quelque temps, les émotions transmises sur ma fréquence sont l’anxiété, la déprime et la culpabilité.

Elles sont plus fortes, plus distinctes que toutes les autres. Elles teintent mon voyage, le rendent plus ardu, plus lourd, moins agréable.


La dérape

Jusqu’à tout récemment, j’ai toujours roulé vite. Jusqu’à tout récemment, ma conduite et mes excès de vitesse ne m’ont jamais été nuisibles. Même qu’en fait, je crois que cela me propulsait, me donnait l’impression d’être efficace, pratique et productive.

Filant à toute allure, les idées embrouillées par ces émotions qui me submergent, j’ai perdu le contrôle : j’ai dérapé.

J’ai tenté des manoeuvres pour maîtriser ma voiture: j’ai ralenti, enclenché le break à bras, mais c’était inévitable : j’ai pris le clos.

J’ai fait un face-à-face avec ma condition. J’ai eu beau fermer les yeux et attendre quelques minutes avant de les rouvrir, mais la réalité reste toujours la même : j’ai dérapé.


Les dommages causés

La dérape en elle-même est un choc. C’est un temps d’arrêt non désiré, mais nécessaire, je crois. Je me console, ça aurait pu être pire : il n’y a pas eu de capotage, pas de perte totale. Cet accident m’a tout de même poussé à une consultation, histoire d’estimer l’ampleur des dégâts.

Le deuxième choc est survenu lorsque le médecin a mis des mots sur ma situation.

Mots qu’il a inscrits sur une étiquette, qu’il a ensuite placée sur mon front (de manière bienveillante, j’en suis certaine). À ce moment, je me suis dit que cette étiquette était bien petite pour camoufler toute la gêne, la honte et la culpabilité qui se cachaient derrière.


Le diagnostic

Moi qui ai toujours roulé si vite, qui ai toujours performé, qui ai toujours évité les obstacles sur ma route, je souffre maintenant d’un trouble d’adaptation (avec humeur anxiodépressive en bonus).

Je sais, c’est un trouble temporaire, le moteur n’est pas touché, je peux continuer de rouler sans danger. Je dois tout de même prendre un temps d’arrêt nécessaire pour prendre soin des dommages causés lors de cette dérape.

Et surtout, faire le nécessaire pour éviter une nouvelle perte de contrôle.


Sensibilisation et normalisation

Je suis moi-même une intervenante, je travaille chaque jour avec des gens qui ont divers diagnostics et je prône la sensibilisation et l’ouverture face aux troubles de santé mentale. C’est exactement pour cette raison que, malgré ma difficulté à accepter cette petite étiquette, j’ai décidé de foncer, de faire face à mes émotions et de ne pas en avoir honte.

Et ce, pour moi, pour mon intégrité et pour toutes les personnes que je connais (et que je ne connais pas) qui ont été touchées de près ou de loin par un trouble de santé mentale.

En sortant de la clinique, j’ai pleuré. J’ai pleuré de tristesse, mais aussi de soulagement et de fierté. J’étais fière de m’être permis d’écouter et d’accepter mon mal, de l’accueillir avec la conviction que je devais en prendre soin, de ce mal.


Halte routière

Je compte reprendre la route lorsque je me sentirai prête à continuer mon voyage. En ce moment, j’aime imaginer que je suis dans une halte routière avec une magnifique vue pour me ressourcer.

Une halte munie de tous les outils nécessaires à mon bien-être. Avant mon départ, je prendrai soin de les déposer dans le coffre de ma voiture.

Lorsque mon voyage sur l’autoroute de ma vie continuera, je veux prendre le temps d’admirer la route, ne pas me sentir obligée de faire le voyage d’une traite et être capable d’arrêter lorsque le besoin s’en fait ressentir

Je veux être à l’écoute de ma voiture, des bruits émis pour m’avertir des défaillances. Terminé, le temps où je montais le son de ma radio afin de les enterrer!


Sweet Home Alabama

J’ai décidé une chose… J’ai décidé que désormais, dans les moments les plus sombres et lors des intempéries, j’allais allumer mes phares et ralentir.

Aussi, la route est bien plus agréable en bonne compagnie. Quoi que l’on puisse penser, nous ne sommes jamais seuls. Souvent, les gens ne souhaitent que cela: nous accompagner lors de notre road trip. Que ce soit dans le silence, lors des jours plus sombres, ou en écoutant Sweet Home Alabama à tue-tête lors des jours les plus heureux.