Le modèle amoureux le plus courant, ou stéréotypé, depuis la nuit des temps, c’est un homme et une femme qui se marièrent et eurent beaucoup d’enfants. Même si la société a beaucoup évolué, et que ce modèle s’est diversifié, il existe toujours des tabous envers certains modes de vie.
« Dans tous les films d’Hollywood où l’intrigue est un triangle amoureux, si – au lieu de choisir à la fin – le personnage principal avait été polyamoureux, ça aurait scrapé l’industrie du cinéma! » – Annie Picard
Annie Picard, trentenaire, pigiste dans le domaine de l’événementiel, et grande voyageuse (elle est derrière le blogue Annie Anywhere), est polyamoureuse depuis environ 10 ans. Elle assume tout à fait son mode de vie et elle a accepté d’en discuter avec moi.
Psssit! Elle tient à préciser qu’elle ne se proclame pas porte-parole, mais qu’elle veut plutôt livrer sa perception, son expérience et aider à déconstruire les tabous.
Qu’est-ce que le polyamour?
D’entrée de jeu, je n’ai pas le choix d’exprimer ma méconnaissance du sujet et je lui fais part du fruit de mes recherches en lui proposant la définition la plus complète que j’ai trouvée :
« Le polyamour (de l’anglais polyamory), ou pluriamour, est une orientation et une éthique des relations amoureuses où les partenaires sont en relation amoureuse avec plus d’une personne, avec le consentement éclairé de toutes les personnes concernées. » – Wikipédia
« Une éthique des relations amoureuses, j’aime ça! », me dit-elle.
C’est parti!
Comment le polyamour entre-t-il dans une vie?
« Pour moi, tout a débuté lors d’une relation avec un gars polyamoureux. J’ai eu envie d’essayer le principe du couple ouvert, on a mis nos règles pour respecter ce avec quoi on était à l’aise. »
Je lui demande si elle a eu envie d’essayer sans hésitation : « j’avais envie d’essayer ce modèle puisque dans le passé, même en étant en couple, il m’arrivait de tomber amoureuse de quelqu’un d’autre, alors je laissais mon chum, même si je l’aimais. Au final, ça ne me comblait pas ».
Elle ajoute du même souffle : « j’étais persuadé qu’il y avait une façon d’être ouvert et éthique. Bien sûr, il n’y a rien de parfait, comme un couple monogame, on fait des essais et erreurs et, à un moment donné, tu tombes sur la bonne personne qui a le même contrat moral que toi. Il faut avoir les mêmes valeurs et les mêmes attentes. »
Comment est-on polyamoureux au quotidien?
La première chose qui me fait sourciller, c’est d’imaginer la gestion de la jalousie quand on partage son ou ses partenaires!
« Contrairement à ce qu’on peut croire, ce n’est pas la jalousie la plus grande difficulté, c’est le manque de temps! Coordonner les horaires, ça peut être tout un défi. »
Elle ajoute quand même : « on est humain, oui la jalousie peut exister, mais on la gère en se demandant d’où elle vient. Est-ce que je ressens de la jalousie parce qu’il passe du temps avec cette autre fille plutôt qu’avec moi? Est-ce que je me sens en danger, ou est-ce que je suis juste jalouse de l’activité qu’ils font ensemble? C’est vraiment important de bien se connaître, d’avoir confiance en soi et d’accepter que parfois, ben oui on l’échappe. »
Je comprends qu’il n’y a rien de parfait, comme dans un couple traditionnel finalement. Et comme dans un couple fermé, une relation intime, ça se bâtit en se parlant ouvertement.
« Je parlais de contrat tout à l’heure, c’est vraiment important de communiquer avec ses partenaires, d’établir ses limites et de se respecter. Moi, par exemple, j’écris « bon matin » et « bonne nuit » à mes partenaires chaque jour, même si je suis avec quelqu’un d’autre. C’est ma règle, et je le vois souvent chez les autres aussi », ajoute-t-elle.
Comment gère-t-on la vie intime?
« Je me fais souvent poser la question, on croit souvent que les polyamoureux ont tous des wild life! »
J’avoue que c’était un peu ma perception au départ, malgré moi…
« On va se le dire, ça peut être plus problématique pour un homme, question tuyauterie! Il faut être capable de se parler. On peut voir un partenaire et juste pas être dans le mood de faire l’amour. Faut être capable de dire ses attentes et de les accepter. Le principe de consentement est aussi important que dans tous types de relations amoureuses. »
Et l’amour dans tout ça?
Étant de nature monogame, j’eus envie d’aborder le sentiment amoureux. Je lui ai demandé si elle ressentait de l’amour pour chaque partenaire, si on pouvait tomber en amour avec plus d’une personne à la fois?
« Il y a différents types de sentiments amoureux et ça se transforme. Par exemple, nos amis, on les aime tous de façons différentes, et jamais on ne va dire à quelqu’un qu’il a trop d’amis et qu’il ne doit pas tous les aimer! Dans une famille, on entend souvent que l’amour se multiplie, peu importe le nombre d’enfants. Pourquoi ce ne serait pas possible dans nos relations amoureuses? C’est qu’on est conditionné à penser qu’on doit aimer une seule personne à la fois. »
Y a-t-il un nombre de partenaires requis?
Ça peut sembler une question un peu technique. Puisqu’un couple monogame ne se pose pas la question, je lui demande à partir de quand se considère-t-on polyamoureux?
« Être polyamoureux, c’est une façon d’être. Certaines personnes auront 15 partenaires, d’autres peuvent en avoir qu’un seul pendant une période. On peut très bien se considérer polyamoureux et être célibataire sans aucun partenaire. Ça dépend de tes rencontres, de tes besoins. Et chaque personne établie quand elle est polysaturée. Oui, polysaturé! Je n’aime pas trop le terme, mais ça veut dire que tu ne souhaites pas ajouter de nouveaux partenaires dans ta vie! ».
Met-on une croix sur les relations stables?
À première vue, j’ai l’impression que les polyamoureux ne doivent pas aspirer à former un couple sérieux pour la vie. Est-ce un préjugé de croire qu’ils ne recherchent pas l’engagement?
« Le polyamour, ça défait les conventions, dans le sens où un couple monogame, après un certain temps, on s’attend à ce qu’ils habitent ensemble, achètent une maison, etc… Dans ma vie amoureuse, en ce moment, je ne me sens pas obligé d’aspirer à d’autres étapes, je n’ai pas envie de suivre un modèle précis. Certains partenaires vont demeurer des fréquentations, et c’est très bien ainsi. »
Je lui parle ensuite de relations sérieuses, terme qu’elle corrige immédiatement pour « relations longs termes », en spécifiant qu’une relation plus courte n’est pas moins sérieuse ou importante. Elle ajoute au sujet des relations longs termes : « j’ai en ce moment un partenaire principal, polyamoureux aussi. On est ensemble depuis plusieurs années. Si on décidait d’avoir des enfants, ça ne changerait pas notre mode de relation. Tout se fait dans le respect et comme je l’ai dit tantôt, avec une excellente communication. Il ne doit jamais y avoir de non-dit. »
Je comprends que le polyamour, pour Annie, c’est loin d’être une option passagère : « si un jour je ne suis plus intéressée à d’autres rencontres, c’est parce que je vais manquer de temps, pas parce que le polyamour ne m’intéressera plus. Mais, pour une autre personne, ça peut être différent! »
Est-ce qu’on doit faire un coming-out polyamoureux?
Bien sûr, on ne parle pas d’orientation sexuelle, mais tout bêtement, est-ce qu’on discute de notre mode de vie amoureuse avec nos familles?
« Oui, j’ai fait mon « coming out » à mes parents et ils ont rencontré les partenaires importants que j’ai eus dans ma vie. »
Mais ceci étant dit, elle spécifie que ce n’est pas un passage obligatoire, que c’est une démarche très personnelle.
Être là pour l’un pour l’autre
Au fil de cette conversation, j’ai été, oui, surprise et étonnée, et je remercie Annie pour sa franchise et son ouverture. Je suis impressionnée de réaliser à quel point il faut se connaitre, être à l’aise avec soi et conscient de ses besoins amoureux!
« Récemment, j’ai vécu une rupture. Un de mes amoureux qui savait ce que je vivais m’a fait livrer des fleurs. Le polyamour, c’est être là pour l’autre. Ce n’est pas parce que j’aime quelqu’un d’autre que je l’aime moins, et vice versa. Ce mode de relation, c’est non négociable dans ma vie. »
C’est donc dire que les polyamoureux vivent aussi des épreuves amoureuses, des déceptions et des peines.
« Malgré que ce mode de vie détruise une partie des conventions du couple monogame, on n’est pas à l’abri des mêmes problématiques, on en vit pareille des épreuves! J’ai passé 7 ans avec un de mes amoureux, la routine s’installe, ça peut arriver qu’on ne se rejoigne plus et qu’on se quitte, comme dans un couple monogame »
Envie d’en savoir plus?
Les relations amoureuses, c’est toujours un sujet riche. Que ce soit par curiosité ou par intérêt, Annie me propose des lectures très pertinentes :
- The Ethical slut (semble-t-il, c’est LA bible des relations non monogame)
- More than two
- Professor Marston and the Wonder Women (un film, disponible entre autres sur Netflix, sur le créateur de Wonder Women, qui s’est inspiré de ses relations polyamoureuses pour créer l’héroïne)