Mon histoire de fausse couche – Continuer sans jamais oublier…

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Photo iStock

13 octobre 2018.

Je suis étendue sur la table froide de la salle numéro 8. Les deux pieds dans les étriers, mes yeux fixent le plafond. Ma main gauche tremble un peu, ma gorge est sèche, j’ai peur.

Ma tête est pleine, tellement pleine qu’elle tourne vite. Beaucoup trop vite. Je me sens bousculée, je ne comprends pas ce qui se passe. Pourtant, je suis à 12 semaines de grossesse, j’ai d’ailleurs rendez-vous dans quelques jours pour la première échographie.

C’est finalement après plusieurs heures d’attente à l’urgence de la Cité-de-la-Santé qu’on appelle mon nom à l’intercom. On m’attend à la salle numéro 8.

Je veux y entrer, mais en même temps, je sais ce qui m’y attend…

Comme si, assise dans la salle d’attente de l’urgence, je pouvais encore espérer que ce ne soit pas ce que je crains le plus.

Comme si, dans la salle d’attente de l’urgence, tout est encore possible.

Comme si mon bébé était encore là, bien au chaud, à grandir, bercé par les mouvements de mon corps et le battement de mon coeur.


L’annonce

Mon chum pousse la porte de la salle numéro 8, je m’assois et j’attends sans dire un mot. Quelques minutes plus tard, le médecin entre dans la salle. Un homme. Je suis encore plus nerveuse.

Je me dis qu’il ne comprendra pas, je me dis qu’IL ne peut pas comprendre.

Il s’assoit devant moi et me demande ce qui se passe. Il me pose des questions, je comprends qu’il essaie de rassembler le plus d’informations possible pour orienter son diagnostic. Son regard est doux et empathique. Ça m’aide à me calmer un peu. Je sens qu’il est compatissant, je sens qu’il souhaite lui aussi que ce ne soit pas ce que je crains le plus.

Il m’explique les différents examens qu’il va faire. D’abord, un examen gynécologique pour voir ce qui se passe là-dedans, puis une échographie avec sa petite machine. Je ne me souviens plus du nom de la machine, mais ce sont les petites machines qui permettent de faire une échographie préliminaire, avant de se rendre en radiologie pour la grosse échographie.

Je m’installe sur la table d’examen et on commence. C’est douloureux, j’ai froid et je tiens mes deux mains bien serrées ensemble. Je tourne ma tête vers la gauche et je vois mon chum qui me fixe, le regard perdu, le regard triste. J’ai peur et je cherche dans ses yeux sa présence réconfortante. Celle qui me dit que tout va être correct. Sauf que cette fois-ci, il ne peut pas me rassurer. L’examen m’a paru une éternité. Pourtant, d’après ce que mon chum m’a dit, ç’a été plutôt rapide.

Juste à voir le visage du médecin, je sais ce qui m’attend.

Bon, je vais être honnête avec vous, ça ne regarde pas bien. Le col est ouvert, il y a beaucoup de sang, beaucoup de caillots aussi et un peu de membrane. C’est donc pour moi ce qui confirme le diagnostic de fausse couche.

Je l’écoute en le regardant droit dans les yeux. Je reçois ses paroles, mais j’ai l’impression d’être dans un mauvais rêve. Puis des larmes se mettent à couler sur mes joues. C’est étrange, mais jusqu’à ce moment précis, je n’avais pas encore pleuré. J’imagine que j’avais besoin de l’entendre de sa bouche pour le croire? Peut-être.

Comme si seul lui détenait la vérité.

Le reste est flou, mais je me souviens qu’avant de quitter la salle, le médecin a tenté de me rassurer en m’expliquant qu’une fausse couche était chose fréquente et que je n’avais rien fait pour causer ça. Il avait sans doute raison, mais dans mon coeur à moi, tout ce que je ressentais, c’était un vide immense.

Comme si, en quittant la salle, il avait emporté avec lui mon plus grand rêve. Celui de porter à nouveau la vie. Celui d’offrir à ma fille un petit frère ou une petite soeur. Celui de mettre au monde un petit humain de demain. Celui de m’émerveiller devant son premier sourire. Celui de passer des nuits blanches à l’admirer. Celui d’aimer comme ce n’est pas possible d’aimer.


Le deuil

2 décembre 2018. Sept semaines se sont écoulées depuis ma fausse couche. Je ne saurai jamais ce qui est arrivé ni qui se cachait derrière tout ce sang et ces caillots perdus un à un dans les toilettes de l’urgence de la Cité-de-la-Santé à Laval, le soir du 13 octobre.

J’ai vécu mon deuil en grande partie seule avec moi-même. Par choix. J’avais besoin d’absorber le tout, j’avais besoin de me reposer pour tranquillement accepter la triste réalité. J’avais besoin de garder tout ça au chaud, avec moi, aussi longtemps que j’en avais besoin.

J’avais besoin de le garder avec moi encore un peu.

Aujourd’hui, je vais bien. Mon coeur est fragile, mais il est en paix. Céleste a eu 2 ans la semaine dernière et j’apprécie plus que jamais la chance que j’ai de l’avoir dans ma vie.

Une amie m’avait déjà dit que de réussir à tomber enceinte, puis de mettre au monde un enfant en santé, avec tous ses petits morceaux, c’était un peu comme de gagner à la loterie. À l’époque, je n’avais pas d’enfant. Je pensais que je comprenais ce qu’elle voulait dire, mais je réalise que je ne comprenais pas vraiment.

Aujourd’hui je comprends plus que jamais.

Une gentille infirmière que j’ai rencontrée lors de mon passage à l’hôpital m’a partagé que chaque jour, ils reçoivent des femmes qui vivent une fausse couche. Certaines décident d’en parler, d’autres préfèrent vivre leur deuil en silence.

Peu importe la façon dont on choisit de traverser cette épreuve, je pense que c’est important de souligner l’ampleur de la blessure que ça laisse sur notre coeur de femme, notre coeur de maman.

Parce que oui, même si tout ce qu’on connaît de notre enfant est un petit + sur un test de grossesse, on l’aime déjà.

Parce que oui, dès la minute où l’on sait qu’on porte la vie en nous, on devient une maman.

J’ai vécu deux grossesses. Différentes certes, mais chacune bien réelle.

La première m’aura mené à la plus belle rencontre de ma vie, celle de ma fille. La deuxième m’aura marqué à tout jamais par sa vulnérabilité, sa force tranquille, sa fragilité.