Entrevue avec Marianne Brisebois, auteure du roman « Sauf que Sam est mort »

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À la fin de 2021, j’ai fait la rencontre de trois personnes incroyables : Alex, Sam et Jean-Thomas. Il s’agit en fait de personnages créés par Marianne Brisebois dans son tout premier roman, Sauf que Sam est mort.

Comme vous pouvez vous en douter, en lisant le titre, il s’agit d’un drame. Cependant, cette histoire ne vous fera pas seulement pleurer…

elle vous apprendra aussi à aimer!

L’un des éléments qui m’a le plus marqué est le fait que, même si on sait que Sam va laisser ses amis dans le deuil, au fil des chapitres, on s’attache de plus en plus à ce personnage et à son histoire avec Alex et Jean-Thomas. Et puisque cette lecture m’a vraiment touchée, je voulais la partager avec vous en posant quelques questions à l’auteure de cette œuvre!

Psssit! Que vous ayez entamé la lecture de son roman ou non, vous pouvez lire cet article sans avoir peur que l’on révèle quoi que ce soit. #NoSpoilers


Qui est Marianne Brisebois?

Photo par : Julie Artcho

Pour vous donner une vue d’ensemble sur l’auteure, je lui ai posé quelques questions qui nous permettront d’en apprendre davantage à son sujet…

Parle-nous un peu de toi, de tes études, et de ton parcours professionnel…

J’ai un certain rapport amour-haine envers mon parcours universitaire! (rire) Quand j’ai choisi de me diriger au bac en psychologie, j’aurais très bien pu choisir les sciences politiques ou la sociologie. Tout m’intéressait! Mais j’ai rapidement réalisé que la curiosité n’est pas suffisante une fois que le marché du travail approche, c’est pourquoi après avoir obtenu mon diplôme, j’ai poursuivi au bac en communication, un domaine qui rejoignait mes forces en général. On me demande souvent en quoi ces domaines sont reliés, car dans les faits ils ne le sont pas vraiment. Mais comme l’humain, ses comportements et tout ce qui englobe ses rapports aux autres se retrouvent partout, il n’y a pas une journée qui passe sans que je pense à mes études en psychologie.

Je ne retournerais donc pas en arrière pour choisir plus rapidement le bon domaine d’études, parce que je n’aurais probablement pas les mêmes références ni la même analyse au quotidien. Et je le constate encore plus depuis que je me suis mise à écrire des romans!

De quoi aimes-tu t’entourer?

C’est une grande question! Ce qui me vient en tête le plus rapidement, je dirais : lire, écrire, m’informer, parler. Parler de tout, de rien, de n’importe quoi, n’importe quand, mais je carbure aux discussions. J’adore débattre, refaire le monde, m’enrichir de points de vue différents, laisser tomber les tabous.

Je trouve nécessaire de s’intéresser aux plus d’enjeux possibles, de se nourrir d’actualité et de contenus culturels variés pour avoir le moins souvent à se rabattre sur la pluie et le beau temps. J’ai probablement ce genre de phrase tournée d’une quelconque façon dans Sauf que Sam est mort! (rire)

Nos modèles en disent long sur nous et sur ce que nous voulons accomplir : qui sont tes sources d’inspiration?

Quand j’ai commencé l’écriture de mon premier roman, j’ai beaucoup pensé aux femmes autrices qui m’ont donné envie d’écrire, alors que j’étais à peine adolescente. C’est souvent à cet âge que les passions s’installent, qu’on se laisse le plus aller à rêver. India Desjardins, Anne Robillard, Stephenie Meyer et plus tard Lili Boisvert ont eu ce rôle de modèles. Elles m’ont donné la confiance nécessaire pour croire en moi en tant que femme qui souhaitait prendre sa place dans le milieu littéraire.


Le travail derrière l’œuvre

Il est difficile de s’imaginer le travail et les épreuves liés à la publication d’un roman. Bien que le processus de création est différent pour chacun, voici comment ce roman a vu le jour…

Comment la pandémie est-elle venue affecter ta vie professionnelle?

C’est la pandémie qui m’a donné le coup de pouce pour commencer mon premier roman, en fait. Mon horaire de travail venait d’être réduit et je n’avais plus de temps de transport, donc les conditions étaient idéales. Puis, je pense que comme beaucoup de gens, je me suis mise à réfléchir à ma carrière, à mon rapport au travail et à ce que je souhaitais faire pour m’épanouir. Avec l’isolement, on avait tous beaucoup de temps pour penser et se remettre en question. Maintenant, je travaille à la pige pour mieux concilier l’écriture à mon quotidien, alors cette pandémie aura vraiment influencé ma trajectoire.

Comment l’histoire de ce premier roman est-elle née?

J’ai toujours souhaité écrire des romans, mais quand l’idée de Sauf que Sam est mort s’est installée dans ma tête… j’ai su que je tenais là ma première histoire.

J’ai voulu parler du deuil dans la vingtaine, parce qu’il met en lumière l’aspect ambigu de cette tranche d’âge quant à l’engagement et aux trajectoires de vie. Certains sont déjà mariés avec une maison et des enfants, d’autres sont bien loin de cette réalité, mais est-ce que leurs relations sont moins sérieuses pour autant? Le rôle de la famille devient aussi plus ou moins clair, surtout dans le cas d’un décès. La façon dont un copain ou une copine sera considéré dans ces circonstances reste relative à la perception de la famille immédiate de la personne décédée.

J’ai aussi posé énormément de questions à un ami qui travaille en notariat. Ayant moi-même tout en commun avec mon copain sans être mariée, j’ai pu me projeter dans la situation d’Alex… même si ma belle-famille est super gentille! (rire) Outre le contexte du décès de Sam, ma propre vingtaine m’a inspiré différentes réflexions qui se sont collées au récit, et le développement des personnages m’a finalement amenée à parler de beaucoup plus que de deuil (bien que ce soit déjà un grand sujet). Le livre ne fait pas près de 500 pages pour rien! (rire)

Combien de temps s’est écoulé entre l’idée initiale et la publication du roman?

J’hésite parfois à en parler, parce qu’il existe un peu trop de comparaisons entre les différents processus d’écriture, bien qu’ils soient tous valides et hautement personnels. Pour moi, écrire ne me demande pas de plan, car l’inspiration vient en grande partie en écrivant. Quand l’idée émerge, j’ai cependant besoin de m’y consacrer de façon très effrénée pour conserver le rythme et l’inspiration.

Je disparais carrément pour fusionner avec mon clavier !

Mon manuscrit a donc été achevé en deux mois, entre avril et juin 2020. Il faut dire que le confinement a aussi beaucoup aidé! Vient ensuite le travail éditorial et tout le processus avant la publication. En général, une fois un contrat d’édition signé, le roman sort en l’espace d’un an à un an et demi. 

Quel est le plus grand défi que tu as dû surmonter pour l’écriture de ce roman?

Comme je suis quelqu’un qui écrit tout d’un seul coup, la réécriture est un beau défi! Quand je suis à l’étape du premier jet, il est rare que je m’arrête à certains passages pour les réécrire ou les supprimer. Mais le travail éditorial apporte un œil nouveau, une expertise qui nécessite de se pencher sur certains aspects pour assurer une cohérence, repérer ce qui est superflu, bref, améliorer la qualité du manuscrit. C’est une étape où on apprend énormément !


Le pourquoi du comment

J’aime beaucoup analyser ce qui m’entoure, surtout les livres et les films, il n’est donc pas surprenant que, lors de ma lecture, beaucoup d’éléments m’ont interpelée, et je voulais vous partager l’envers du décor de ces sujets, qui vous donnera assurément envie de vous lancer dans cette lecture…

Comment cette histoire se différencie-t-elle des autres drames?

Je pense que c’est une histoire à mon image! J’ai la pensée très éparpillée, rarement synthétisée, et en même temps, j’aime approfondir tellement de sujets. Ce n’était pas l’intention de départ quand j’ai tapé les premières lignes, mais finalement, cette histoire a été propice à beaucoup de réflexions et mes personnages étaient parfaits pour les aborder.

L’amitié «fille/garçon», et «garçon/garçon» est un élément central de l’histoire : pourquoi?

Oui, l’intensité des relations et l’absence de pudeur, c’est vraiment quelque chose de central dans le livre. Je remarque en vieillissant qu’une fois en couple, les amitiés occupent une place moins forte qu’à l’adolescence, et on trouve souvent immatures les gens qui entretiennent encore des liens fusionnels. Comme je raffole des nuances, l’amitié entre Alex et Jean-Thomas, à la suite du décès de Sam, me passionne carrément! (rire) Une relation aussi intime entre un garçon et une fille qui ont la même orientation sexuelle, pour beaucoup de gens, c’est carrément impossible.

Ajoutons à cela que Jean-Thomas est en couple…

J’aime énormément les questionnements que cette relation peut susciter. Est-ce acceptable? Réaliste? Un manque de respect envers Catherine? Une amitié inspirante? Bref, venez m’en parler… Haha!

À première vue, on pourrait croire que tu abordes la masculinité toxique, mais…

Je ne dirais pas que j’aborde la masculinité toxique, mais plutôt une amitié très décomplexée sur les plans émotifs et physiques entre deux garçons. L’amitié entre Sam et Jean-Thomas est très particulière et il s’agit de quelque chose qu’Alex a rapidement réalisé, et adoré. Par contre, ce n’est pas tout le monde qui comprend cette relation. Certains lecteurs et lectrices m’ont même confié avoir trouvé leur relation presque dérangeante.

Peut-être l’est-elle, c’est tellement personnel ce qu’on peut ressentir en se plongeant dans un livre!

Bien sûr, il est possible de moins adhérer à une amitié aussi intime, si on est quelqu’un de plus introverti, plus dans sa bulle, peu importe le genre auquel on s’identifie. Malgré tout, il reste qu’encore aujourd’hui, ce sont en grande majorité les femmes qui entretiennent des amitiés où elles s’appellent dix fois par jour et où les contacts physiques sont fréquents. Avec Sam et Jean-Thomas, j’aborde non seulement ce genre d’amitié entre garçons, mais aussi la place accordée aux amis en vieillissant.

Il existe encore certaines limites dans les démonstrations d’affections entre hommes, même si les choses tendent à changer. Montrer plus de modèles d’hommes qui expriment leurs émotions ne peut qu’aider à renverser la tendance et à ouvrir la porte à ceux qui ont envie de relations amicales plus ouvertes et intimes.

Dans ce livre, tu abordes le deuil dans la vingtaine, mais quelle place l’égoïsme occupe-t-il dans ce processus?

L’égoïsme est beaucoup abordé dans la façon dont le deuil est vécu. Souvent, lorsque quelqu’un vit quelque chose de difficile sur le plan émotif, la réaction des proches peut être maladroite, envahissante, bien que remplie de bonnes intentions. Alex est beaucoup en réaction envers sa famille puisqu’elle sent que sa peine est invalidée, mal comprise. Il y a aussi cette tendance à revirer la situation sur soi, quand quelqu’un vit un drame, et c’est ce qui rend Alex plus amère, l’entraînant dans un deuil fusionnel avec Jean-Thomas.

Il est vrai qu’ils vont tous les deux s’autosuffire, oublier l’aide qu’on leur tend, ignorer ce que les autres personnes qui aimaient Sam peuvent vivre eux aussi. C’est critiquable, effectivement, mais ils sont tous les deux en mode survie. Je pense qu’il est difficile d’être adéquat en tout point quand un tel drame se présente, quand son présent comme son avenir n’ont plus le sens qu’ils avaient. Même avant la mort de Sam, leur façon de vivre tous les trois est aussi très spéciale, et on pourrait les trouver égoïstes, même prétentieux dans leur façon de n’avoir besoin de rien d’autre, sinon d’être ensemble. Encore là, il est possible de trouver leur relation et leur attachement très inspirants ou, au contraire, presque problématiques.

J’aime bien que tout ne soit pas si évident, apporter des nuances et des réflexions chez le lectorat.

Sinon, le personnage de Catherine est très complexe et intéressant, aussi…

Ce que j’aime de ce personnage, c’est qu’elle vient montrer l’envers de la médaille en ce qui concerne la relation presque utopique entre Sam, Alex et Jean-Thomas. Je pense qu’il est facile de se mettre à la place de Catherine et de comprendre ses réactions, même si on s’attache à la relation du trio. Comme elle est à l’extérieur de cette fusion, elle nous montre ce que ça fait d’être en couple avec quelqu’un qui semble plus investi en amitié qu’en amour. Bref, je n’en dis pas trop…

Y a-t-il des personnes de ton entourage qui t’ont inspiré en ce qui concerne les personnages ou les sujets abordés?

Un peu comme pour Catherine et ses études en psycho, il y a quelques clins d’œil à moi et à mes proches, mais aucun personnage ni événement n’est calqué sur du vécu. Je n’ai pas traversé de deuil et je n’ai pas non plus connu de relations aussi fusionnelles en amour et en amitié. Cependant, j’ai le même âge que mes personnages, donc il est certain que plusieurs réflexions propres à la vingtaine et leurs références culturelles s’approchent beaucoup de moi. Ce sont aussi des placoteux, pas mal comme moi! (rire)

Que souhaites-tu que l’on retienne de ton œuvre?

Laissez-vous aller à aimer!

Ça veut dire tellement de choses, mais j’adore que chaque personne en retire un message ou une réflexion selon son vécu, sa personnalité, son rapport aux émotions et aux relations. Ça aussi, j’ai envie qu’on vienne m’en parler…


La suite…

À quoi pouvons-nous nous attendre pour la suite de son parcours? 

Dis-moi, allons-nous voir ton nom sur une nouvelle œuvre sous peu?

Oui! J’ai un second roman qui va paraître aux Éditions Hurtubise en 2022. Depuis le printemps 2020, écrire fait partie intégrante de mon quotidien. Je suis constamment en train d’écrire ou de penser à écrire, alors j’ai mille et un projets en tête.

Si tu avais un conseil à donner à celles qui souhaitent se lancer dans l’écriture d’un roman, quel serait-il ? 

Quand on a une idée en tête et qu’on aime écrire, il faut se lancer sans penser plus loin. Écrire avant tout pour soi, l’histoire qu’on aurait aimé lire. Se mettre trop de pression est une grande barrière à l’émergence de son propre style. Le processus aussi, c’est quelque chose de totalement personnel. Je ne suis tellement pas quelqu’un d’organisé, alors tout ce qui ressemble à un plan ou à une structure me donne envie de m’enfuir en courant! C’est tout à fait correct de commencer un roman sans savoir comment il va se terminer, ou alors de composer un organigramme de dix pages si c’est ce que ça prend!

Tout dépend de sa personnalité, de sa façon de laisser aller sa créativité