Aurore 2.0 – quand les horreurs du passé nous rattrapent

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PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Exactement 99 ans se sont écoulés depuis la disparition tragique de la jeune fille surnommée « Aurore, l’enfant martyre »

99 ans pendant lesquelles la société a changé, évolué… Du moins, c’est ce qu’on croyait. Quels naïfs nous sommes!

Un numéro sur la liste, un numéro parmi tant d’autres.

C’est de cette façon, et pour cette raison, que tu as perdu la vie le 30 avril dernier. Nous avons présumé que l’histoire d’Aurore Gagnon n’était qu’un douloureux souvenir, une leçon. Le Québec s’était promis de faire tout en son pouvoir pour éviter de nouveaux drames comme le tien. Et pourtant…

Que s’est-il passé quand les membres de ta famille ont essayé d’avoir ta garde. Pourquoi a-t-on ignoré les signaux d’alarme? Parce que des avertissements, il y en a eu…


La haine

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PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Pour t’être rendu aussi loin, Clara-Maude, tu as dû en vivre des horreurs. Je ne sais même pas si on peut dire que ton frère, ton pauvre frère qui sera marqué à vie, a de la chance de s’en être sorti.

En fait, je ne sais pas ce qui est mieux : mourir ou survivre après avoir vécu autant de traumatismes?

J’en ai contre le système. Je leur en veux de me faire douter de ce qu’il pourrait advenir de mes enfants s’il nous arrivait un drame à nous, leurs parents. Ou douter des inconnus à qui nous confions nos précieux. Je leur en veux de laisser autant d’enfants souffrir parce que:

Ce sont les procédures, madame, c’est la loi.

Je m’en veux de vivre dans une société dépourvue de morale, une société qui préfère faire l’autruche plutôt que d’agir. On ne parle pas ici de réprimande face au mur, pour une crise dans un magasin. On parle d’une enfant de 7 ans qui cherchait de l’aide chez les voisins au petit matin. On ne parle pas d’une adolescente de 16 ans qui saute des classes. On parle d’une fillette qui devait aimer l’école et qui a quitté un jour, sans avertissement, pour ne jamais revenir. Ne JAMAIS revenir.

Il n’y avait pas place aux suppositions, il y avait place à agir!


Sans identité

Comment est-ce qu’on peut s’expliquer autant de failles dans le système de protection infantile, alors qu’il y avait déjà tant d’éléments dans ton lourd dossier, là-bas, sur leurs bureaux, probablement en dessous de tous les autres dossiers d’enfants maltraités qui n’auront peut-être jamais justice.

Aujourd’hui, toutes les personnes qui t’ont connue, ou qui savaient ce qui se passait, sont incapables de porter sur leurs épaules la lourdeur de leurs regrets. Le regret de ne pas avoir agi. Le regret d’avoir trop suivi le protocole. Le fardeau d’avoir laissé un enfant innocent souffrir, mourir, seule, sans être aimée.

Encore une fois. Une de plus. Comme Aurore.

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Une guerrière

Selon eux, tu es une victime. Selon moi, tu es une guerrière, une battante.

On n’en connaît pas encore beaucoup sur ton histoire, et personnellement, je n’ai pas besoin d’en savoir davantage sur:

  • les tortures que tu as endurées
  • l’incompréhension de n’avoir que des coups en guise d’amour parental
  • la peur que tu devais avoir chaque soir en t’endormant… et l’appréhension chaque matin en te levant
  • les nombreux bleus sur ton petit corps et les larmes sur tes joues
  • les souhaits que tu devais faire en espérant ne pas avoir de coup, tout en enlevant chaque pétale de fleur, comme tous les enfants de ton âge font…

 Ils m’aiment, ils ne m’aiment pas, je serai frappé… ou ligoté, j’aurai un bisou… ou un coup.


La honte

J’ai honte, j’ai tellement honte.

Honte de notre Québec. Honte de ceux qui ont préféré déléguer. Honte de ceux qui avaient ton dossier en main. Honte de notre Département de protection jeunesse.

Malheureusement, des histoires comme la tienne, il y en a tellement. Tu n’es pas la première ni la dernière.

Le cœur des Québécois est brisé et la plupart suivent l’histoire dans les médias, mais n’auraient pas fait plus, en connaissance de cause. Parce que nous sommes faibles. Nous avons trop peur. Peur du jugement. Peur de se tromper. Peur de se mêler de ce qui ne nous regarde pas.


Négligence infantile ou négligence du système?

DeAuroreAuNo-5Pourquoi il faut constamment attendre les drames pour activer les solutions, pour se poser les bonnes questions?

Attendre qu’un enfant meure ou qu’un bébé naissant soit abandonné dans une boîte de chaussures au froid, dehors, après quelques heures de vie seulement…

Attendre que la population ait la rage au coeur pour agir sur des lacunes qui perdurent depuis trop longtemps déjà. Les enfants, c’est notre relève. Ce sont surtout des êtres innocents qui ne font pas la différence entre l’amour et la violence. Les enfants prennent ce qu’on leur donne.

Pour moi, ce devrait être une priorité du système d’assurer la sécurité de chaque enfant. Un devoir de citoyens.

Je ne veux pas qu’on me dise que le nombre de cas a diminué au travers des années, ou encore que des enquêtes seront faites pour savoir comment ils auraient pu éviter ce drame et pouvoir en éviter d’autre. Je veux qu’on mette en place un moyen pour enrayer toute violence infantile, une bonne fois pour toutes! Que le nombre de cas soit 0.

Que cette réalité n’en soit pas une, mais plutôt une histoire sordide qu’on raconterait autour d’un feu pour se faire peur.


Un brin d’espoir

Photo Nicola Fioravanti, Unsplash

J’ose croire, peut-être encore naïvement, que ton histoire en évitera d’autres. Que le Québec va enrayer les lacunes de la protection infantile. Que nous, citoyens, allons arrêter de faire l’autruche et protéger nos enfants, mais aussi les enfants du Québec, quels qu’ils soient.

Je souhaite sincèrement, Clara-Maude, qu’en dépit de tes souffrances, tu ne sois pas morte en vain, et que ton histoire ne soit pas qu’un simple et douloureux souvenir.

Ou encore, qu’elle finisse en biopic au cinéma…

Repose en paix.